Hadopi : résumé de la saga
Le Sénat vient d'avaliser la loi Hadopi 2. Il est temps de faire un petit rappel des faits et des arguments des différentes parties en présence.
Au commencement, en 2005, était la loi DADVSI (relative aux Droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information). Elle instituait des peines de prison pour les contrefacteurs qui utilisaient des logiciels permettant de contourner les DRM placés sur des contenus numériques. Elle met en péril les logiciels libres, puisque ceux-ci permettent de contourner les DRM. Par exemple, VLC, l'excellent lecteur multimédia multiplateforme qui vient de sortir en version 1.0, permet de contourner le chiffrement mis en place sur les DVD. Heureusement, pour l'instant ces dispositions ne sont pas appliquées dans ce cas précis. La lettre de la loi DADVSI mettait également fin à la copie privée, juridiquement tolérée jusque là. Son adoption fut rocambolesque, en procédure d'urgence et pendant les vacances parlementaires.
Quatre ans plus tard, le marché a un peu changé : Apple et les fabricants de baladeurs numériques ont popularisé ces appareils, les FAI (Free en tête) ont obtenu un prix unique pour un abonnement haut-débit -- le monopole permettant cela n'est pas l'objet de cet article, même s'il y aurait à redire. Ainsi, la possession de plusieurs centaines de fichiers mp3 est devenue banale. Il est évident que la plupart des gens ne "rippent" pas leurs DVD ou leurs CD pour remplir 30 Go (ou plus) d'un iPod : ils les téléchargent sur eMule. Ce qui est mal, même si l'on peut comprendre ce phénomène, à l'aune de l'inertie des majors (qui auraient pu, par exemple, proposer leurs catalogues numériques plus rapidement, moins cher et moins verrouillé au public, assortis d'une réduction pour ceux qui possèdent déjà les disques).
Le gouvernement aussi a changé, mais les idées et les intentions sont les mêmes : il faut protéger nos-copains-les-artistes-millionnaires, ceux-là mêmes qui étouffent le marché et empêchent les indépendants d'exister -- sous prétexte qu'ils n'ont aucun talent (?). Ceux-là mêmes, donc, qui n'ont plus vraiment besoin d'être défendus. Il faut aussi contrôler internet, ce média dangereux ! Donc, le chef de l'État a donc confié à Ch. Albanel le soin de faire passer une nouvelle loi. Celle-ci, prenant pour base un rapport de D. Olivennes (ancien patron de la Fnac), introduit la riposte graduée : l'internaute téléchargeur se voit envoyer, en cas de récidive, un e-mail, puis un recommandé, avant suspension de sa ligne. Une nouvelle adminstration, l'HADOPI, est chargée de ce contrôle.
Le fonctionnement du système contient diverses incohérences (je relève celles qui sont connues, j'en ajoute une à la fin) :
- la loi introduit un filtrage du Net, par le biais de logiciels "mouchards", que l'on installe sur sa machine pour prouver sa bonne foi (comme si les excès de vitesse étaient controlés par des boîtes noires installées sur des voitures, le tout à la charge de l'automobiliste). Le fait de devoir prouver sa bonne foi est en contradiction totale avec le droit français (où c'est l'accusation qui doit prouver la faute).
- l'Etat envisage de confier la gestion des mouchards à une société privée, ce qui est contraire à divers arrêtés de la Cour Européenne.
- l'accusation repose sur un filtrage par IP, ce qui est peu efficace (un chercheur a montré qu'on pouvait faire croire qu'une imprimante réseau sans disque dur était coupable de P2P ...) et surtout il suffit de peu de temps pour contourner le problème (passer par un proxy à l'étranger, crypter ses communications, emprunter la connexion d'un voisin).
- dans certains cas, couper le Net suppose de couper aussi le téléphone, ce qui est impossible (contraire à une autre loi)
- un amendement instaure le paiement de l'abonnement Internet suspendu (comme si on imposait un plein hebdomadaire à ceux auxquels on a retiré le permis de conduire)
- le recouvrement des éventuelles amendes et l'envoi des lettres sera particulièrement coûteux, pour un résultat très incertain...
- un amendement prévoit que l'on s'intéresse principalement aux oeuvres d'ayants-droits français (dommage pour nos amis suisses francophones qui voudraient que les Français achètent leurs disques.
- à noter : personne n'évoque une suppression de la contribution sur les supports de stockage. Pourtant, s'il n'y a plus de manque à gagner à compenser (puisqu'une loi est faite pour être efficace), il n'y a pas lieu de continuer à nous prendre pour des vaches à lait.
Le vote de cette loi fut lui aussi rocambolesque. Les sénateurs, godillots comme à l'habitude -- ou séniles ? --, votèrent. Mais les députés, sensibilisés par quelques mousquetaires, N. Dupont-Aignan, M. Billard, P. Bloche, J. Dionis Duséjour, votèrent, avec les pieds : les UMP choisirent de rester dans leurs circonscription, laissant la voie libre pour les socialistes, "cachés sous l'escalier du palais Bourbon". Le chef de l'État s'étouffa de rage et tonna si fort que la majorité vint massivement voter en 2e lecture (mais pour certains, le manque de conviction est patent sur les vidéos des débats).
Heureusement, le Conseil Constitutionnel est passé par là et a censuré la plupart des mesures, surtout les dispositions répressives (notamment : couper Internet sans jugement est déclaré inconstitutionnel). Internet est devenu un droit fondamental, Ch. Albanel eut beau prétendre à sa victoire, elle fut tout de même débarquée au remaniement. Toutefois, comme "on" y tient, "on" se dépêche de faire pondre à de zélés collaborateurs la "même chose mais pas pareil".
Arrive donc "Hadopi 2". Un remaniement plus tard, le projet est défendu par M. Alliot-Marie et F. Mitterand. Mais il a, à peu près, le même lot de problèmes que "Hadopi 1". Et introduit, ce qui à mon sens est le plus grave, l'espionnage des communications privées en temps de paix. Le Sénat vient de le voter, ça promet pour les jours à venir.
On parlera sous peu ici des enjeux de ces lois, du marché de la musique et des propositions alternatives au "tout-répressif".