Les conférences Treize minutes de Paris 7

Publié le 13 mai 2012 dans [ science, conferences, TED ]

Le jeudi 3 mai dernier, à l’université Paris 7 (Diderot), une nouvelle session des Treize minutes était organisée et je suis allé y faire un tour. Le concept semble se rapprocher des conférences TED, où plusieurs orateurs se succèdent dans un temps court (ici, 13 minutes par personne, d’où le nom). Les affiches annoncent des conférences “nerveuses, variées et inattendues”, avec “Risque d’excitation intellectuelle”. Voilà à peu près ce que j’en savais avant d’y aller, voici ce que j’en ai pensé et retenu. Les vidéos seront bientôt disponibles sur leur site.

Programme de la session du jeudi 3 mai 2012

  • Jacques Honvault — Existence et mouvement
  • Roland Lehoucq — Déjouer les apparences
  • Luis Garcia — Nouvelles médecines personnelles
  • Violaine de Carné et Didier Trotier — Théâtre olfactif
  • Jean-Louis Berdot — Les réalités du cinéma documentaire
  • François Taddéi — Apprendre au 21e siècle

Compte-rendu et commentaires personnels

Existence et mouvement par Jacques Honvault

J’ai raté un peu le début de cette présentation. L’orateur présente son travail sur l’existence et le mouvement, qu’il réalise principalement via de la photographie et de la vidéo. Sa technologie de prédilection : la synthèse soustractive d’images. À titre d’exemple, il filme son public avec une webcam et projette l’image en direct, mais en soustrayant à celle-ci l’image prise 1 seconde auparavant : tous les pixels qui sont identiques entre cette image et la précédente deviennent noirs, seuls ceux qui diffèrent restent visibles. Et, pour éviter de projeter une image essentiellement noire, il bascule le noir en transparent et superpose à une image de la salle vide : comme le public est attentif, on ne voit quasiment plus aucun visage, seuls quelques mouvements peuvent être distingués en surimpression des fauteuils. Le message de J. Honvault, au-delà de la performance technique, est d’amener son public à réfléchir sur le fait que moins on bouge, plus notre esprit est en réalité concentré, mais moins on apparaît, on n’existe plus.

Le reste de son intervention est axée autour de variations sur ce thème, qui ont été présentée partiellement au Palais de la Découverte il y a quelques années. Deux expériences que je trouve intéressantes, et pourraient servir à initier des collégiens à la science :

  • il photographie la Tour Eiffel un matin d’été vers 6h, puis refait la même photographie quelques heures plus tard, quand la chaleur s’est installé et que la Tour Eiffel a pris plusieurs degrés et s’est dilatée. Les images ne se superposent plus (et elles sont esthétiquement jolies) !

  • de même, quand on photographie le pont d’Austerlitz, avant et pendant le passage d’une rame de métro, on constate un écart en hauteur de quelques centimètres (observé à nouveau en montrant que les images ne se superposent plus).

Évidemment, on est amené à réfléchir remettre en question ces certitudes : la Tour Eiffel, un pont, des objets “immobiles” bougent ?!

Enfin, il nous montre quelques images sur les convois de véhicules sur les Champs-Elysées et leur interaction avec les piétons.

J’ai bien aimé cette présentation, l’orateur était assez bon et les travaux vraiment originaux, de quoi donner des idées. Je reste un peu “à côté” sur le message lui-même (l’enrobage philosophique sur le fait qu’on n’existe plus quand on bouge plus), mais ce n’est pas le plus important.

EDIT : la vidéo de cette conférence est disponible ici

Déjouer les apparences par Roland Lehoucq

La conférence suivante est présentée par un astrophysicien du CEA. L’orateur fait de la vulgarisation sur l’espace, commençant par l’observation en 1610 des satellites de Jupiter par Galilée et terminant par les performances des téléscopes actuels. Progressivement, on a pris conscience que la Voie Lactée n’était pas simplement un “truc diffus” dans le ciel, mais plutôt un ensemble d’objets (100 milliards de galaxies). Nos yeux sont très limités pour distinguer la lumière qui provient de l’espace, que ce soit en résolution angulaire, mais aussi en terme de formes de lumière (infra-rouge, rayons X, etc.). On parle d’horizon cosmologique, et du fait que les problèmes viennent du fait que beaucoup d’étoiles brillent peu et peu d’étoiles qui brillent beaucoup. L’orateur projette de nombreuses photographies du ciel, magnifiques. Il termine sur ce qui reste pour moi l’idée importante : l’homme est limité pour construire des représentations de l’espace, parce que c’est grand et (on y pense moins) très long (devant l’échelle humaine), mais surtout parce qu’on est obligés de regarder l’univers depuis ici et maintenant ! (alors qu’on aurait envie de le voir il y a plusieurs siècles/millénaires, et depuis d’autres galaxies).

La conférence est intéressante, même si elle restait dans un style assez scientifique, et que j’ai vraiment attendu la fin pour avoir l’idée “transférable” à d’autres domaines (penser à changer de point d’observation…)

Nouvelle médecine personnalisée par Luis Garcia

J’ai pris peu de notes sur cette conférence, que je n’ai pas trouvé dans le ton. Le sujet concernait des nouvelles idées en médecine où l’on adapte à l’ADN même du patient la thérapie. C’est sûrement très prometteur d’un point de vue scientifique, mais pour moi l’orateur a raté sa vulgarisation. Il m’a vite perdu avec des diapos (slides) trop chargées et trop techniques, et un texte destiné à des spécialistes.

Théâtre olfactif par Violaine de Carné et Didier Trotier

À nouveau, une conférence qui ne m’a pas passionné. Il s’agissait de présenter le travail de plusieurs personnes d’horizons très différents (comédiens de théâtre, scientifiques et philosophes) autour du théâtre olfactif. Je pense que c’est d’assister à une représentation du spectacle qui aurait pu provoquer “l’excitation intellectuelle” promise, transformant l’expérience habituelle du théâtre. Là, si l’idée de départ est intéressante, la conférence était trop plate et pas assez maîtrisée dans la forme (la distribution de mouillettes parfumées sans suivi dans la présentation, par exemple).

Les réalités du cinéma documentaire par Jean-Louis Berdot

Une conférence qui a débuté et s’est déroulée avec de nombreux problèmes techniques, ce qui est très gênant quand on parle de cinéma. Le conférencier a su le prendre avec humour et nous parler pendant 13 minutes de l’interaction entre la réalité et le cinéma dans le documentaire. Où l’on apprend que, les frères Lumière avaient filmé plusieurs fois la célèbre scène de sortie des usines, celle qui reste n’étant donc pas complètement la première (les ouvriers étaient revenus le dimanche après la messe, ne portant donc pas du tout les mêmes vêtements que la semaine). Dès le début, ce qui se veut fidèle à la réalité ne l’est donc pas complètement…

Le deuxième extrait a été réalisé par Luis Buñuel et montre une chèvre se promenant sur un chemin à flanc de falaise puis chutant fatalement. Le spectateur s’interroge forcément sur l’opportunité de la présence de la caméra au moment de la chute, les rushes racontent une autre histoire, la chèvre ayant été amenée sur un chemin impraticable d’abord par les cris des assistants du réalisateur puis par un coup de feu de Buñuel lui-même…

L’extrait suivant est issu du travail de Chris Marker. Les images sont tournées dans une ville de Sibérie et montrent un bus passant dans une rue, que traverse un vélo et une berline ; des cantonniers qui construisent une route ; etc. Les images sont projetées trois fois successivement, avec trois sonorisations (musique et commentaires) très différentes, neutre, pro-communiste et anti-communiste. Évidemment, le commentaire et la musique permettent de transformer complètement la perception du spectateur des mêmes images : les ouvriers œuvrent tantôt à la grandeur de leur pays, tantôt ils sont exploités sombrement par le régime…

Ensuite, deux extraits supplémentaires, une interview très curieuse d’Yves Saint Laurent (avec montage approximatif et images surexposés) et un extrait de S21 (qui seront peu commentés, faute de temps).

On finit sur trois phrases :

  • le documentaire s’avance masqué, mais comme un masque il peut cacher ou révéler
  • la représnetation de la réalité ou la réalité de la représentation (Godard)
  • que vois-je ou qu’a-t-on voulu que je voie

C’était très intéressant, même si ce n’était peut-être pas life-changing, l’orateur était bon — peut-être qu’un peu moins d’extraits et un peu plus de commentaires aurait été pas mal.

Apprendre au 21e siècle par François Taddéi

[full-disclosure] Je connais un peu François Taddéi (@francoistaddei), avec qui j’ai eu l’opportunité de discuter quelques fois au Fabelier. Cependant, j’avais décidé d’aller aux Treize minutes avant de savoir qu’il serait orateur.

La présentation de cet orateur évoque l’avenir de la transmission et de la production de connaissances : l’arrivée de l’informatique et de quelques autres sciences (intelligence artificielle, robotique) ont transformé les sciences et les techniques. Les coûts se sont réduits (dans peu de temps, séquencer un génome coutera une dizaine d’euros), les machines sont adoptées universellement (il y a la même puissance dans un téléphone mobile actuelle que la totalité des ordinateurs de la NASA au moment des premiers voyages sur la Lune). Depuis Kasparov il y a quelques années, on sait aussi que la machine, convenablement guidée par l’homme, peut réaliser des choses très performantes (aux échecs, “homme seul < machine seule < homme + machine”). Et il y a un million de fois plus de publications scientifiques aujourd’hui qu’à l’époque de Diderot et d’Alembert…

Pourtant nous dit-il, nos écoles sont proches de celles d’il y a 50 ans, à quelques exceptions près (un exemple d’école à NY où l’on enseigne par le jeu). Le modèle n’a pas changé. Il y a cependant des nouvelles idées qui se dégagent. On peut saluer les travaux et l’article réalisés par un biologiste avec quelques jeunes enfants (8-10 ans) pour les initier à la recherche, publié pour de vrai dans un journal scientifique. On peut aussi penser aux nouvelles formes de jeu qui, comme récemment, ont permis de résoudre des problèmes scientifiques épineux sur lesquels des scientifiques planchaient depuis plusieurs années (cf iGem je crois). François Taddéi nous présente comment il pense qu’on peut, avec quelques puces d’un coût réduit (accéléromètre et GPS), donner aux enfants les moyens de mesurer l’activité de leur chien puis de les récupérer sur smartphone ou ordinateur pour les traiter. Il n’oublie pas la dimension sociale, en pensant que des enfants de différents coins du globe pourraient ainsi échanger autour de leurs observations et commencer à développer un esprit scientifique.

Je manque de notes sur le dernier slide qui était pourtant intéressant et présentait une flopée de questions sur le sujet (dont certains sont des dadas de François, comme le coding goûter où des enfants apprendraient des rudiments de programmation, ou la recherche de “frères d’idées” via des algorithmes de réseaux sociaux). Je trouve que les expériences et les idées présentées dans cette intervention sont vraiment intéressantes et provoquent la réflexion, “l’excitation intellectuelle” : comment apprendrons-nous demain, comment nos enfants apprendront-ils, comment pouvons-nous faire progresser le savoir du plus grand nombre ?

Un ouvrage de référence sur le sujet : Reinventing discovery, de M. Nielsen.

EDIT : la vidéo de cette conférence est disponible ici

Conclusion

Je vous conseille donc d’assister aux Treize minutes la prochaine fois, le 14 novembre prochain : si l’excitation intellectuelle n’est pas au rendez-vous de chaque intervention, l’ensemble vaut vraiment le coup (merci et bravo aux organisateurs, pour la qualité du programme, la captation vidéo, sans oublier le buffet final pour discuter avec les orateurs). Si vous ne pouvez pas, pensez à rattraper en ligne via les vidéos sur le site officiel.